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Photographie Bobolaise : Un secteur à la croisée des chemins

La photographie est un secteur qui emploie plusieurs personnes à Bobo-Dioulasso. Photographes et laboratoire de tirage de photos sont les principaux acteurs de la photographie. Dans la capitale économique du Burkina, le métier qui a connu des beaux jours connait des moments difficiles. Les acteurs indexent pour les uns le numérique et pour les autres la concurrence déloyale. Réinventer le métier ou se préparer à sa mort face aux défis du numérique, la photographie bobolaise à la croisée des chemins.

La photographie, c’est un secteur d’activité qui fait vivre beaucoup de personnes et de familles à Bobo-Dioulasso. C’est une profession comme toute autre. Des entrepreneurs existent grâce à la photographie. Des tenants de studio photos formels ou informels sont nombreux dans la capitale économique du Burkina.

Des laboratoires de tirage de photos ne se font pas aussi rares dans cette ville. Ces professionnels sont des acteurs majeurs des cérémonies institutionnelles, des mariages, des baptêmes, bref, de tout ce qui est généralement lié aux activités festives.

A un certain moment, les photographes étaient aussi incontournables dans le processus d’établissement des pièces d’identité. Il fallait recourir au service d’un photographe professionnel pour avoir des photos d’identité.

Mais aujourd’hui, la photographie bobolaise se trouve face à des difficultés. En effet, l’avènement du numérique donne du fil à retordre aux acteurs. Avec la prolifération des appareils photos numériques et des smartphones, plus besoin d’apprendre la photographie pour faire des photos. Tout le monde fait aujourd’hui des photos. Il suffit d’avoir un smartphone ou un appareil muni d’une caméra. La numérisation des pièces d’identité est un autre coup de marteau pour les photographes et laboratoire de tirages de photos.

La photographie et le numérique

Sidiki Ouattara est photographe depuis 1998. De cette époque à aujourd’hui, il a constaté un changement dans la profession. Les outils de travail ne sont plus les mêmes. De l’analogie, l’on est passé au numérique. Cela présente des avantages selon Sidiki Ouattara. « Avec le numérique, on n’utilise plus les appareils analogiques avec les pellicules. Et ça permet d’avoir de plus belles images et c’est plus rapide”, apprécie-t-il les avantages du numérique. Au-delà des avantages, le photographe lève un coin de voile sur de nouvelles méthodes imposées par le numérique. “Avec le numérique, il y a des clients qui demandent les photos uniquement sur clés USB. Ce qui n’est pas facile pour tous les photographes. Mais je me dis qu’avec les changements, ce sont les photographes qui doivent s’adapter pour préserver leur métier », souligne Sidiki Ouattara qui se montre optimiste face aux changements imposés par le numérique.

Sidiki Ouattara, photographe ingénieur du développement rural

Pour lui, si les photographes acceptent s’adapter, ils continueront à gagner leur vie dans la photographie comme toujours. « Je pense que si les photographes acceptent de mettre sur clés les commandes des clients qui le souhaitent, ils ne perdent rien », estime le photographe expérimenté et titulaire de diplôme d’ingénieur de développement rural (Bac+5). Malgré cette adaptation souhaitée, Sidiki Ouattara est tout de même conscient des défis face auxquels se trouve la photographie dans le contexte du numérique.

« Les enseignants qui font les photos d’identité de leurs élèves doivent laisser les photographes aussi vivre de leur métier »

Le photographe ingénieur du développement rural déplore aussi le fait que le numérique ait facilité l’accès au métier de photographe aux non initiés. « Aujourd’hui, on est aussi en train de perdre le marché des photos d’identité dans les écoles. Beaucoup d’enseignants font les photos pour les cartes scolaires et viennent les tirer à vil prix et de piètre qualité pour les élèves. C’est une difficulté que nous vivons actuellement. En temps normal, cette tâche revient aux photographes. Les enseignants ont leurs salaires. Ceux qui font les photos d’identité de leurs élèves doivent laisser les photographes aussi vivre de leur métier », Sidiki Ouattara souhaite-t-il qu’on les photographes faire leur travail dans le format « à chacun son métier ».

Pour faire des précisions, il fait savoir que malgré les facilités apportées par le numérique, la photographie reste un métier qui s’apprend. « Ce n’est pas parce que tu as un bon appareil que tu feras forcément de bonnes photos. La prise de vue est un métier qui s’apprend. C’est ce que les gens doivent comprendre et laisser les photographes faire leur travail », ajoute-t-il.

Mahama Yara, photographe qui décrie la concurrence des laboratoires photos qui mettent sur pieds des studios

Mahama Yara est aussi Photographe. Il exerce le métier depuis 2002. Il indexe aussi l’intrusion de beaucoup d’enseignants non professionnels de photos dans leur profession. Ce qui leur fait manquer aujourd’hui le marché des photos des cartes scolaires dans les établissements. « Nombreux sont les enseignants qui font eux-mêmes les photos pour les cartes scolaires de leurs élèves. Certains les font même avec des téléphones sans les techniques de base de la photographie. C’est un manque à gagner pour nous qui sommes photographes » dénonce Mahama Yara.

Les téléphones android, fossoyeurs du métier des photographes bobolais

Pour la plupart des photographes que nous avons rencontrés, l’avènement des téléphones android marque le début des difficultés des photographes. Pour eux, à cause de ces smartphones, les photographes perdent beaucoup de marché. « Avant on gagnait beaucoup d’argent quand c’était encore l’analogie. Mais aujourd’hui, avec le numérique, on fait toujours le même travail mais on gagne peu surtout avec les téléphones android. Avec ces téléphones, tout le monde s’est improvisé en photographe. Ça fait que beaucoup de gens ne font plus appel aux photographes professionnels », Mahama Yara dépeint-il la situation générée par les smartphones au détriment des photographes.

 Ce dernier pointe aussi du doigt la concurrence des laboratoires photos qui disposent désormais de studios en leur sein. « Ils font ce que nous les photographes, devons faire. Ils prennent le peu de marché qui nous reste », déplore Mahama Yara.

Jacob Nombré est photographe à Bobo-Dioulasso depuis 25 ans. Du début de sa carrière à aujourd’hui, il constate un changement qui n’est pas favorable aux photographes. Pour lui, le numérique a apporté des facilités dans la manière de travailler. Mais il est aussi en train de scier la branche sur laquelle les photographes sont assis. « J’ai commencé la photographie en 1999. A cette époque, on gagnait plus. Mais maintenant, les téléphones android ont tout gâté. Avec ces téléphones, certains n’ont plus besoin de photographes », Jacob Nombré indexe-t-il les smartphones comme un des fossoyeurs du métiers de photographes à Bobo-Dioulasso.

Une vue de laborantins

Sidiki Ouattara, le photographe ingénieur de développement rural embouche la même trompette que ses collègues photographes qui ne voient pas les téléphones android d’un bon œil pour le métier de photographe. « Ce que les gens oublient, c’est que la photographie, c’est un métier qui s’apprend, c’est un art. Quand tu n’as pas les techniques, tu peux faire mille photos avec un très bon téléphone mais elles vont manquer de qualité », conclu Sidiki Ouattara au sujet des smartphones dans la photographie.

La mort des studios photos par la numérisation des pièces d’identité

S’il y a un facteur qui a impacté le métier de photographe à Bobo-Dioulasso, c’est la numérisation des pièces d’identité et des permis de conduire. Pour les photographes, ces photos à elles-seules assuraient la survie des studios photos. « La force des studios c’était les photos d’identité mais depuis la numérisation des pièces d’identité et des permis de conduire, beaucoup de studios ont fermé. Avec les photos d’identité seulement, les studios pouvaient tenir malgré le paiement de loyer, d’impôts et souvent des salaires », Jacob Nombré explique le manque à gagner que le numérique a entrainé pour les photographes.

Sidiki Ouattara décrie le fait que l’État ait numérisé les pièces d’identité sans confier la tâche de la prise des photos aux photographes professionnels. Or, dit-il, les photos d’identité contribuaient pour beaucoup dans les chiffres d’affaires des photographes.

Comme Jacob Nombré et Sidiki Ouattara, ils sont nombreux ces photographes qui voient la numérisation des pièces d’identité et des permis de conduire comme une importante part de marché qui échappe aux photographes. Ils souhaitent que l’État corrige ce qu’il appelle « injustice » en confiant le marché des photos des pièces numérisées aux photographes professionnels. « En tant que professionnel de la photographie, il y a des photos sur des pièces qui ne sont pas de bonne qualité. On entend même souvent qu’il y a des pièces qui sortent avec des photos où on a du mal à reconnaitre celui qui figure sur la pièce. Tout ça, c’est parce que ce n’est pas des photographes professionnels qui font les photos pour les pièces », souligne Sidiki Ouattara qui souhaite voir les photographes professionnels impliqués dans l’établissement des pièces d’identité numérisées.

Les laboratoires photos en agonie

Face au numérique, les laboratoires photos expriment un double sentiment. Pour les tenanciers de ces laboratoires, le numérique apporté un changement positif dans leur méthode de travail.

Aboubacar Sidiki Sanou travaille pour le Laboratoire photo numérique à Bobo-Dioulasso. Il estime que le numérique a facilité leur travail en termes de rapidité et en termes de qualité de l’image. Un point de vue partagé par son collègue Amadou Sorgho du Laboratoire photo Victory. Mais le numérique n’a apporté que du bien pour leur business. Il a aussi baissé leur revenu et menace même la survie de leur domaine d’activité.

Pour Amadou Sorgho, les laboratoires gagnaient beaucoup plus d’argent qu’aujourd’hui. « Avant c’était très bénéfique car il n’y avait aucune concurrence. Mais aujourd’hui, les téléphones réduisent notre marché. Les téléphones font que les gens demandent très peu de photos. Il y a aussi le fait qu’il y a des gens qui demandent seulement les photos numériques sur clés USB. Et quand c’est comme ça, ce sont les laboratoires qui perdent », Amadou Sorgho explique-t-il les difficultés des laboratoires photos face au numérique.

Pour nous convaincre, il donne des chiffres. « En périodes de fête, on pouvait faire une semaine dans le laboratoire sans rentrer chez nous tellement il y avait beaucoup de photos à traiter et à tirer. On pouvait tirer 20 000 photos par jour. Aujourd’hui, il est difficile d’avoir 5000 photos à tirer par jour en période de fête. Avant on tirait en moyenne 5000 photos/jour et aujourd’hui, il nous est difficile d’avoir 1500 photos par jour », souligne le jeune travailleur du laboratoire photo Victory.

Amadou Sorgho du Laboratoire photo Victory

Son collègue du laboratoire photo Numérique Aboubacar Sidiki Sanou quant à lui chiffre la moyenne de leur tirage quotidien entre 4000 et 5000 photos par jour avant l’avènement du numérique. Mais aujourd’hui, le Laboratoire où il travaille tire entre une centaine et un millier de photos par jour. Il explique cette baisse par la prolifération des laboratoires photos favorisée par le numérique. Une multiplication de laboratoire qui a entrainé une concurrence déloyale et déconstruit la fidélité des clients habituels. Il indexe aussi le stockage numérique des photos qui entraine aussi un manque gagner pour les laboratoires. Face à cette difficulté, il lâche le dicton de Joseph Ki-Zerbo “Nan Lara, Ansara” pour qu’il faut rester résilient pour ne pas disparaitre.

Pour ce faire Aboubacar Sidiki Sanou et son collègue Amadou Sorgho pensent à des solutions pour sauver leur activité. Ils pensent tous deux à la mise en place d’une faîtière qui pourraient encadrer leur métier pour le débarrasser de certaines pratiques telles que la concurrence déloyale. Pour eux, si rien n’est fait, les laboratoires photos vont inexorablement vers leur faillite. Or, disent-ils, c’est un domaine qui emploie des centaines de personnes.

Aboubacar Sidiki Sanou du Laboratoire Photo Numérique qui appelle ses collègues à la résilience pour sauver leur activité

Ce tour d’horizon de la photographie bobolaise laissent entrevoir des difficultés chez les différents acteurs du domaine. Une situation qui trouve selon la plupart d’entre eux, son origine dans l’avènement du numérique. Pour les plus optimistes, il convient que chaque acteur soit résilient et chercher à s’adapter aux défis du numérique pour réinventer la profession.

Pour le doyen de la photographie burkinabè Paul Kabré, rien ne peut remplacer la photo. Il conseille donc aux différents acteurs de transformer les difficultés du numérique en opportunités pour tirer plus de bénéfices. Cela n’est possible, dit-il, que lorsqu’on est passionné du domaine de la photographie.

Abdoulaye Tiénon/Ouest Info      

La rédaction
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Ouest Info est un média en ligne basé à Bobo-Dioulasso dans la région de l’Ouest du Burkina Faso.

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