Attacher le pagne est une pratique séculaire chez les femmes. Dans beaucoup de sociétés, c’était le symbole de la féminité. La femme se reconnaissait par un pagne noué autour de la taille. Mais avec le modernisme, femmes et jeunes filles bobolaises perdent peu à peu le goût de cette pratique caractéristique de la femme burkinabè et africaine en général. A Bobo-Dioulasso, des femmes d’un certain âge ne savent pas attacher décemment le pagne tant elles l’utilisent rarement. Certaines filles n’ont jamais attaché le pagne et n’en ont dans leur garde-robe que pour la forme. Le pagne ou l’oublié des garde-robes des femmes de Bobo-Dioulasso, un reportage réalisé par une équipe de Ouest Info sur une pratique en voie de disparition chez ces femmes et celles d’ailleurs.
Pantalons, jupes, robes moulantes, collants collés, bodies, hijabs sont des tenues prisées par certaines femmes et jeunes filles à Bobo-Dioulasso. Ces tenues volent doucement la vedette au pagne. En sillonnant les artères de la ville de Bobo-Dioulasso, nous avons fait la rencontre de Assiétou Dao. Après les salutations d’usage, elle est mise au courant de l’objet de notre présence. Elle s’ouvre à nous sur notre sujet. Employée de commerce dans un magasin de la place et âgée d’environ 25 ans, elle nous informe qu’attacher le pagne se fait rare dans ses habitudes vestimentaires. Habillée en robe prêt à porter, elle a juste noué un pagne sur cette tenue en guise de tablier pour éviter de là salir dans ses tâches. Pour la jeune dame, nouer le pagne est une pratique tendancielle à la baisse chez les femmes et beaucoup plus chez les jeunes filles. Elle explique cela par le fait que le pagne n’est plus à la mode.
Elle préfère attacher le pagne juste quand elle est à la maison. « Les pagnes doivent être attachés uniquement à la maison. C’est ce que je fais. Pour sortir, je préfère porter une robe ou une jupe parce que je trouve cela plus respectable. J’ai des pagnes mais je ne les attache pas pour aller en ville ». Assiétou explique son rapport au pagne. Chose que nous constatons à travers la tenue qu’elle portait.
Pour nous convaincre de son faible penchant pour les pagnes, elle nous fait une précision. « J’ai au maximum cinq (5) pagnes. J’ai acheté deux avec mon propre argent et le reste c’est ma maman qui m’a donné car elle estime qu’une femme doit avoir des pagnes ». Avec un léger sourire au coin des lèvres, c’est ce que Assiétou nous donne comme nombre total de pagnes de sa garde-robe.
Comme Assiétou Dao, Rainata Zerbo attache rarement les pagnes. Elle ne trouve pas dans le pagne le confort et la sécurité recherchée. Pour elle, « le pagne peut tomber à tout moment ». En plus de cette raison, Rainata trouve aussi que le pagne n’est plus à la mode. Elle préfère porter un pantalon car, nous confie-t-elle, « De nos jours, pour prouver qu’on est une belle jeune fille, il faut porter une robe, une mini-jupe, un pantalon ou un collant. En ce moment, tu te sens désirer et attirante aux yeux des hommes ».
Les quelques rares fois où elle attache un pagne, c’est sous la pression de son frère ainé qui est son chef de famille. A en croire Rainata, son frère estime que savoir nouer le pagne est symbole de l’éducation à la féminité d’une jeune fille. « C’est mon frère qui m’oblige à attacher le pagne car pour lui, c’est le symbole de féminité. Lorsqu’une femme attache régulièrement le pagne selon lui, cela prouve qu’elle est bien éduquée, qu’elle fera une bonne femme et ça lui facilitera le mariage contrairement aux filles qui portent les pantalons et autres ». Rainata explique les circonstances de la présence du pagne autour de sa taille quelques fois.
« Je n’attache pas de pagne parce que je ne sais pas comment on attache »
Safiatou Traoré, âgé de 30 ans travaille dans une entreprise de la place. Pour elle, attacher le simple pagne n’est pas de sa génération. La jeune dame préfère coudre ses pagnes que de les attacher. « Ce n’est pas que notre génération n’aime pas les pagnes. C’est juste qu’attacher un simple pagne n’est plus à la mode. On préfère le coudre ou en faire des accessoires comme les sacs et les bijoux. Quand j’achète les trois pagnes, je couds en un complet en bonne et due forme. Et si après il reste un pagne, je demande au tailleur d’en faire des hauts que je porte avec des pantalons, des jupes ou de petites robes ». C’est ce que Safiatou Traoré donne comme justification à son peu d’affection pour le pagne autour de la taille.
Derrière la justification de Safiatou se cache une réalité. « Je ne sais pas bien attacher le pagne. Depuis toute petite, maman n’acceptait pas qu’on attache le pagne simple et un T-shirt pour sortir. Ce qui fait que j’ai honte d’attacher un pagne aujourd’hui pour sortir. Elle a toujours opté pour des complets. Elle faisait coudre des complets pagne pour nous. Et même là, le tailleur mettait des cordes au bout des pagnes pour qu’on puisse les attacher», déclare-t-elle son manque de savoir-faire en matière d’utilisation de pagne autour de la taille.
Quant à Mounira Soma, elle ne sait même plus à quand remonte sa dernière fois de nouer un pagne. « J’ai deux pagnes. Mais je ne me rappelle même plus du jour où je les ai noués autour de ma taille. En fait, je ne sais pas comment on attache correctement le pagne. Les rares fois que j’ai essayé de le faire, ça n’a pas fait long feu car le pagne se détachait à tout moment ». Mounira décrit avec dérision sa mésaventure avec les pagnes autour de la taille.
« Moi j’aime les pagnes… Mais mon mari n’accepte pas que j’attache un pagne. Il trouve que ça fait vieille »
Pour certaines de nos interviewées, les hommes seraient à la base du fait que les jeunes filles n’attachent plus le pagne comme avant. Selon elles, beaucoup d’hommes n’aiment pas lorsqu’une fille noue le pagne. Ils trouvent, disent-elles, que ça fait vieilles. Ils exigent la plupart du temps de leur femme ou même de leur copine un style vestimentaire qui les rendent, selon eux, plus attirantes. « Je trouve que ce changement est causé par les hommes. Ils n’aiment pas que leur copine ou leur femme attache un pagne que ce soit pour sortir ou même à la maison pour d’autres. Par exemple, moi j’aime les pagnes. Je suis plus à l’aise dedans et ça fait plus femme. Mais mon mari n’accepte pas que j’attache un pagne. Il trouve que ça fait vieille. Dès les premières semaines de notre mariage, il a été formel là-dessus. Et depuis lors, je n’attache plus de pagne. Je les utilise seulement pour me laver ou porter mon bébé au dos ». C’est le témoignage de Nafissatou Traoré, femme mariée depuis maintenant trois ans.
Un petit tour d’horizon de l’utilisation du pagne autour de la taille par les femmes à Bobo-Dioulasso permet de se rendre compte qu’elles sont nombreuses, ces femmes qui abandonnent peu à peu cette pratique. Si pour certaines, c’est une pratique obsolète, pour d’autres, nouer le pagne est un exercice dont elles ne maitrisent pas du tout les codes.
Et tout cela, c’est sans compter avec la volonté de certains hommes qui ne souhaitent pas voir leur femme ou copine en pagne noué. Malgré ce désintérêt vis-à-vis du pagne par les jeunes femmes jeunes, il continu de contenter les femmes d’un âge avancé qui le voient comme le symbole de la féminité.
Leïla Korotimi Koté et Adjara Djamilatou Coulibaly/Ouest Info