Avoir une terre d’accueil est une chance pour certaines personnes déplacées internes. Bien s’intégrer est un défi majeur pour certaines autres. Dans la commune de Bobo-Dioulasso, ces personnes ont le sentiment de se sentir comme chez elles sur le plan social. Loin de leurs terres du fait de l’insécurité, l’hospitalité des populations locales permet à ces personnes déplacées de se sentir en sécurité et d’envisager des perspectives de nouvelles vies porteuses d’espoir. A la rencontre de certaines de ces personnes dans la soirée du vendredi 29 novembre 2024, l’on a pu toucher du doigt un pan des réalités de vie de certaines personnes déplacées qui ont trouvé refuge dans la commune de Bobo-Dioulasso.
Habillé dans un boubou aux cols bien brodés, il fait dos à une maisonnette en banco qui menace de s’écrouler. Assis sous un gros manguier, il discute avec des visiteurs d’un soir. Pendant ce temps, femmes et enfants s’affairent pour les menus travaux du soir dans une cour de fortune où certains détails trahissent l’apparence d’une famille anciennement installée. Néanmoins autour de lui, tout semble bougé comme d’ordinaire dans une famille stable. Lui, c’est Souahibou Diallo, une personne déplacée interne qui a trouvé gîte et couvert à Darsalamy, un village de la commune de Bobo-Dioulasso. Craignant pour sa vie à Degué Degué, localité en proie à l’insécurité située dans la région des Cascades, il a dû fuir avec sa famille après avoir perdu quelques proches, dit-il, dans des attaques ciblées.
Installé à Darsalamy depuis maintenant plus d’un an, il a du mal à oublier sa mésaventure. Il trouve néanmoins consolation dans sa zone d’accueil. Souahibou Diallo jouit en effet, d’une hospitalité dans le village qui l’accueille. Il s’en réjouit et ne tarit pas de mots de reconnaissance à l’endroit de ses hôtes qui ont facilité l’intégration sociale de sa famille.
« Depuis que je suis arrivé ici, je me sens en sécurité. On a été très bien accueilli et on nous a trouvé un logement. Pour subvenir à nos besoins alimentaires, nos hôtes ont mis un champ à notre disposition et nous avons pu produire des céréales cette année. En quittant ma localité avec la dizaine de personnes qui constituent ma famille, je n’espérais pas un tel accueil quelque part dans le pays », témoigne Souahibou Diallo sur l’hospitalité dont il bénéficie à Darsalamy sans toutefois occulter certains défis qui veulent emousser sa résilience. Même s’il a besoin d’aides, il est pour le moment socialement bien installé à Darsalamy.
Drissa Diallo, une autre PDI bien intégrée à Darsalamy
Souahibou Diallo n’est pas la seule personne déplacée qui bénéficie de l’hospitalité à Darsalamy. Drissa Diallo est une autre personne déplacée interne installée à Gongowé Gare, un quartier isolé du village de Darsalamy. Dans un mini boubou et coiffé d’un bonnet aux bouts retroussés, il est arrivé de la commune de Karangasso Vigué en janvier 2024 à cause de l’insécurité dans la zone.
Mari de deux femmes et père de plusieurs enfants, il a été accueilli à bras ouverts par les habitants de Gongowé Gare. Il est aujourd’hui engagé comme berger dans une ferme locale. La quarantaine bien sonnée, Drissa Diallo est désormais bien intégrée dans la communauté hôte. Ton bien posé et visage souriant, il ne prononce pas un mot plus fort qu’un autre. C’est dans cette monotonie de voix qu’il exprime son enthousiasme de se retrouver dans une zone où il se sent adopter par la communauté locale.
Grâce à son rôle de berger, il arrive à nourrir décemment sa famille. « Je me sens très bien ici. Avec ce que j’ai vécu dans ma localité, je ne suis plus prêt à y retourner pour risquer ma vie. En moins d’un an de cohabitation avec les autochtones d’ici, je ne me sens pas du tout dépaysé », Drissa Diallo exprime son état d’équilibre intérieur dans un village où il a des alliances à plaisanterie avec la communauté locale.
Souahibou et Drissa ne sont que deux (02) exemples de ces personnes qui ont fui l’insécurité pour trouver refuge à Darsalamy où leur insertion sociale a été presqu’automatique. Mais cette intégration rapide n’est pas le fruit d’un quelconque hasard. C’est le fruit d’une solidarité développée par la population locale depuis le début des flux de populations qui fuient les zones d’insécurité.
Boureima Sidibé est installé dans le village de Darsalamy depuis plusieurs années. Teint noir, nez plat avec une couronne de barbe bien limitée, il a des liens solides avec une bonne partie de la communauté locale. L’homme ne manque aucune occasion d’activer le levier de la parenté à plaisanterie qui le lie à ces populations autochtones. Aux bonsoirs de certains de ses parents alliés qu’il croise dans ses petits détours dans le village, il répond par des boutades qui laissent parfois place à des fou rire.
Sur son passage, il taquine enfants par ci et chambre adultes ou vieux par là. Un tour avec Boureima Sidibé à l’intérieur de Gongowé Gare en direction de sa concession lève un coin de voile sur l’importance de la parenté à plaisanterie dans un Burkina Faso où le vivre-ensemble, la cohésion sociale et la paix sont en chute libre. Il use bien de cette valeur traditionnelle et culturelle pour rendre important et désirable auprès des natifs du village. Cet homme est la porte d’entrée de plusieurs personnes déplacées internes à Gongowé Gare.
Pour lui, le village de Darsalamy dans son ensemble est un village très hospitalier pour peu que l’hôte soit une personne de bonne foi. Depuis que la crise a commencé, il est tuteur de plusieurs personnes déplacées. Il précise que dans le village de Darsalamy, les populations locales l’aident à accueillir ces personnes. « On ne se limite pas seulement à accueillir les personnes déplacées. Après leur installation, on trouve des mécanismes pour les rendre indépendantes et faciliter leur intégration car on ne sait pas quand est-ce que la crise prendra fin pour qu’elles retournent chez elles », Boureima Sidibé explique la stratégie développée à Darsalamy pour faciliter l’intégration des personnes déplacées internes.
Inoussa Soré et Sata Koro, des déplacés socialement bien intégrés à Bobo mais désillusionnés par la vie en ville
Désormais base à Bobo-Dioulasso avec sa famille, Inoussa Soré est déplacé interne venant du village de Komonan, localité située dans la région de la Boucle du Mouhoun. Cela fait plus d’un an qu’il est installé sur les berges du marigot Kua. Chef d’une famille d’une quinzaine de personnes, il jouit d’une hospitalité inespérée même s’il peine encore à joindre les deux bouts. Pour lui, la population locale est hospitalière. Chose qui a facilité son intégration sociale avec sa famille. Mais l’homme est désillusionné par la vie en grande ville qui est parfois présentée comme le lieu de toutes les bonnes opportunités professionnelles.
Commerçant dans sa localité d’origine, il s’est en désespoir de cause improvisé aide-maçon pour pouvoir nourrir sa famille en attendant de bien trouver ses repères. « Quand je me lève le matin, je suis obligé de trouver un chantier pour faire du manoeuvrage. Il y a des jours où on me paie à 2000f et il y a certains qui me paient à 2500f par jour. C’est avec ça que j’essaie de nourrir ma famille en attendant de trouver un travail stable », Inoussa Soré raconte sa vie de déplacé d’une voix mélancolique et résignée.
Face au problème de logement avec sa nombreuse famille, le quinquagénaire s’est résolu à brader certains de ses biens dans sa localité d’origine pour s’acheter un terrain à Bobo-Dioulasso. Il tente de mettre ce terrain non loti en valeur pour mettre sa famille à l’abri. Socialement bien intégré, il espère maintenant une source de revenus sûre et pérenne pour mettre sa famille à l’abri du besoin.
Comme lui, Sata Koro est une jeune femme déplacée interne venant de Bassé, un village de Bondokuy. Elle a fui l’insécurité il y a plus d’un an. En sécurité à Bobo-Dioulasso, elle se sent comme chez elle même si elle fait face à des difficultés liées aux besoins du quotidien. La jeune dame d’une trentaine d’années d’âge justifie la hauteur de son moral par le climat social très favorable à son intégration. Son rêve, c’est d’apprendre la saponification pour en faire un gagne-pain circonstanciel avec l’espoir d’en faire sa principale activité génératrice de revenus une fois de retour au bercail.
Bien que les personnes déplacées internes que nous avons rencontrées se sentent socialement bien à Darsalamy et dans la ville de Bobo-Dioulasso, elles font face à défis existentiels. Si certains d’entre elles manquent de moyens pour les soins de santé et la scolarité des enfants, d’autres par contre sont dans le besoin alimentaire. Au lieu de se résigner, ces personnes se font une carapace pour faire face au destin qu’elles n’ont pas librement choisi.
Abdoulaye Tiénon/Ouest Info